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Egalité femmes-hommes et impact de la pornographie : un nouveau rapport qui inquiète.

Entretien avec Karine Coz Elleouet, première adjointe en charge de l’égalité femmes-hommes.

En janvier dernier, le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE) publiait son traditionnel baromètre de l’égalité : en dépit d’une sensibilité sociétale toujours plus grande aux inégalités et une reconnaissance massive des injustices entre les femmes et les hommes dans toutes les sphères de la société, ce rapport montrait que le sexisme perdure et ses manifestations les plus violentes s’aggravent. A la lumière d’un nouveau rapport publié il y a 10 jours, Karine Coz Elleouet nous livre un éclairage sur l’une des causes possibles de cette évolution.

Que nous apprend le nouveau rapport du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes ?

L’une des principales surprises du baromètre de janvier dernier était que le sexisme semble plus ancré chez les jeunes que chez les hommes plus âgés. Ainsi, ce sont les 24 -35 ans qui revendiquent le plus la reproduction des pratiques visant à assurer la domination des hommes sur les femmes et le patriarcat en général. Le nouveau rapport accablant du HCE sur la porno-criminalité apporte des éléments de compréhension sur cette évolution négative des mentalités chez les plus jeunes. En effet, au printemps, l’ARCOM annonçait qu’en 2022, 30% des mineurs avaient été exposés au moins une fois par mois à des contenus pornographiques et que, malgré la loi, dès 12 ans, plus de la moitié des garçons passent en moyenne 1 heure par mois sur un site pornographique.

Or, ce rapport sur la porno-criminalité est sans ambiguïté sur ce que nos enfants visionnent. Il estime à "90 %" la proportion de "contenus pornographiques contenant de la violence physique ou verbale, pénalement répréhensibles " et publiés dans l’impunité la plus totale :

"Dans l’industrie pornographique, des femmes et des filles sont massivement victimes de violences physiques et sexuelles. Les femmes, caricaturées des pires stéréotypes sexistes et racistes, sont humiliées, objectifiées, déshumanisées, violentées, torturées, subissant des traitements contraires à la fois à la dignité humaine et… à la loi française".

Quelles conséquences ont de tels contenus sur la vie sexuelle et affective des jeunes ?

Le rapport est édifiant : le "modèle économique des plateformes de diffusion étant la monétisation du trafic, les vidéos rivalisent de pratiques les plus violentes, les plus dégradantes possibles". "Tous ces actes, par la cruauté et la souffrance engendrée, ont des répercussions réelles sur la santé physique et mentale des personnes qui les subissent, et répondent pour certains à la définition juridique des actes de torture et de barbarie."

Si la violence massive subie par les actrices en toute impunité doit être dénoncée, il est aussi évident que non seulement la pornographie actuelle alimente la misogynie et la confusion entre sexualité et violence chez les plus jeunes, mais que la confrontation, recherchée ou fortuite, à ces séquences extrêmement violentes peut être particulièrement traumatique pour eux. Les conséquences psychiques et sociétales de cette culture du viol et de la déshumanisation des femmes auprès des plus jeunes exigent une prise de conscience des pouvoirs publics.

Comme à chaque nouveau rapport du Haut Conseil à l’Egalité, un certain nombre de voix se sont immédiatement élevées pour dénoncer ce texte et sa prétendue partialité. Qu’en pensez-vous ?

Comme sur d’autres questions sociétales concernant principalement ou exclusivement les femmes – par exemple la prostitution ou le port du voile - on retrouve les mêmes approches, qui traversent en particulier les courants féministes : d’un côté, dénoncer l’exploitation des femmes et leur asservissement à des systèmes patriarcaux ; et de l’autre, revendiquer leur liberté individuelle, que ce soit pour vendre leur corps ou en cacher une partie au nom de tel ou tel code culturel.

Il ne s’agit nullement ici de trancher cette question, mais de se questionner sur l’impact de l’industrie pornographique sur les relations entre les femmes et les hommes dans notre société. Si nous devons continuer à œuvrer collectivement pour l’égalité, où en sommes-nous dans l’intimité de nos foyers et le modèle que nous renvoyons à nos jeunes ?

En l’absence d’une régulation efficace de ces contenus, quelles solutions pour protéger les plus jeunes ?

C’est tout le paradoxe de notre société où, d’un côté, le droit ne cesse de progresser, où les institutions et les entreprises œuvrent à plus d’égalité réelle, mais où les femmes se font importuner sur l’espace public, où les violences sexistes et sexuelles et les féminicides ne diminuent pas et où les enfants sont de plus en plus exposés, y compris à leur insu, des images de sexualité extrêmement violentes et dégradantes pour les femmes.

Est-il normal que le « michetonnage » (ndlr : prostitution occasionnelle) existe dans nos collèges et nos lycées ? Que des annonces fleurissent sur le net pour proposer, contre faveurs sexuelles, un hébergement à des jeunes à la rue, migrants ou mineurs français rejetés par leur famille ? Que des étudiants et étudiantes se prostituent pour subvenir à leurs besoins durant leurs études ?

Entre l’absence des cours d’éducation sexuelle pourtant obligatoires et le flot des contenus pornographiques violents disponibles sur le net, il nous faut plus que jamais parler à nos enfants et les éduquer au respect d’autrui et à l’égalité entre les femmes et les hommes.