Hier, un journaliste de Ouest France m’a interpellé sur ce même sujet pour avoir un avis de la collectivité. En effet, Brest métropole océane a signé en juillet dernier le « contrat de rade » qui met en place des actions visant à protéger le milieu riche mais fragile qu’est la rade de Brest. Il souhaitait donc avoir notre sentiment sur les interpellations faites par les associations vers la Marine.
En tant que vice président chargé de la rade de Brest, j’ai demandé à la Direction de l’écologie urbaine de BMO, qui gère le Contrat de rade, de regarder ce dossier objectivement et de me donner un avis.
Trois éléments importants semblent étayer la thèse d’un impact faible sur le milieu de l’action entreprise par la Marine, sur la coque Q790.
Les peintures employées par la marine comme anti-fouling possèdent bien du TBT (dibutylétain). Ce produit est en effet extrêmement toxique pour l’environnement, même à des quantités infimes (certaines espèces montrent des perturbations pour des taux de TBT dans l’eau de quelques nanogrammes par litre). Il a d’ailleurs été retiré du marché du fait de sa dangerosité pour l’environnement et seule la marine déroge encore à ce principe, sur certaines de ses coques. En son temps, la coque du Clémenceau a été peinte avec ce type de peinture et plus récemment, celle du Charles De Gaulle aussi. C’est donc bien cette peinture qui est aujourd’hui sous la coque du Q790.
Pour autant, les peintures au TBT ont une durée de vie assez moyenne. En fonctionnement opérationnel, ce type de peinture anti-fouling est appliquée tous les 5 ans car les substances actives comme le TBT se diffusent lentement dans le milieu. La coque perd donc lentement ses propriétés de protection contre l’accrochage des algues ou des coquillages. D’après les informations que l’on a, le dernier carénage du Clémenceau remonte à avant 1994. Les peintures qui subsistent sous la coque du Q790 ont donc plus de 15 ans. Au regard de la durée de vie de ces produits, il est assez probable que la quantité de TBT résiduelle soit extrêmement faible. L’apparition de familles de crépidules sous la coque semble aussi alimenter cette thèse d’une faible toxicité des produits résiduels, comme l’a fait remarquer la Marine.
Plus objectivement et quantitativement, le service de BMO s’occupant du Contrat de rade et du suivi de la rade depuis maintenant plusieurs années possède une base de données d’analyses chimiques faites par prélèvement d’eau et le TBT est suivi (la mesure du taux de TBT en rade abri est faite par la Marine elle-même). Ces données sont publiques et disponibles sur le site du Réseau rade : www.rade-brest.fr (onglet EAU >> Accès au données).
Le point de prélèvement P2 se situe à proximité de la coque Q790 aujourd’hui. C’est donc un point pertinent d’analyse du niveau de TBT. Le graphique [ici] montre ces analyses dans le temps, accompagné des évènements que sont le départ du Charles de Gaulle de la rade abri et l’arrivée de la coque Q790.
On constate que le niveau moyen de TBT reste élevé dans les années 90. Jusqu’à début 2000 au point P2, le niveau moyen de TBT est de l’ordre de 40 à 50 ng (nanogramme) de TBT. A partir de 2001, on observe une lente décroissance du niveau moyen de TBT dans la rade qui se situe aujourd’hui à une valeur moyenne de 5 ng. On observe aussi que l’arrivée du Q790 dans la rade abri ne vient pas alimenter à la hausse la décroissance observée les 6 années précédentes. Enfin, tout au long de la courbe, on observe des pics qui traduisent un milieu très chargé en TBT, par lui-même.
La rade abri, comme la Penfeld appartiennent à l’histoire de Brest comme des hauts lieux de l’industrie marine militaire et les sédiments qui résident sur le fond peuvent avoir des taux de TBT (et bien d’autres choses encore) extrêmement élevés. Certains évènements météorologiques ou d’origines humaines peuvent venir remuer ces sédiments et faire augmenter fortement le niveau de TBT dans la rade abri, comme le démontrent ces pics. Il est d’ailleurs probable que même si l’on arrêtait totalement les activités sur ces zones, l’existence de ces boues entrainerait un bruit de fond de TBT pour encore plusieurs dizaines d’années.
Ces analyses semblent donc dire qu’avant son grattage, le Q790 ne diffusait plus de TBT dans le milieu.
Enfin, la technique employée par la marine pour enlever les coquillages et les algues n’est pas une technique de décapage comparable à un carénage où l’énergie nécessaire est issue de jets hautes pressions ou de sablage. Dans le cas présent, il s’agit d’un travail manuel avec des grattoirs, fait par des plongeurs qui n’ont pas d’appui réel dans l’eau. Le grattage de la coque n’a donc pas grand-chose à voir avec un décapage de carénage.
Pour ce qui est du rejet de crépidules sous la coque après grattage, les risques sont évalués comme étant nuls : sa présence de ce coquillage en rade est estimée à plusieurs dizaines de milliers de tonnes et il s’agit d’un animal très peu mobile, donc présentant un risque de dispersion très faible des individus adultes pour le milieu.
Ces raisons objectives nous portent donc à croire que l’impact du grattage fait par la Marine n’augmente pas le niveau de pollution dans la rade abri et donc dans la rade de Brest. Un risque existant tout de même, nous avons pris des contacts avec la Marine et ils nous ont dit avoir conscience des risques de l’opération. Ils ont d’ailleurs fait des prélèvements sous la coque du Q790 avant le grattage et prévoient d’en faire après. Ces mesures seront rendues publiques et pourront être corrélées avec celles que nous possédons depuis plusieurs années, ainsi que celles faites en rade de Brest par les différents organismes (IFREMER, IUEM) qui étudient ce milieu riche mais fragile.
Si la vigilance est de rigueur, nous restons sur une position de confiance vis-à-vis de la Marine.