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5ème risque, quelle protection sociale pour demain ?

LA FNAPAEF et les associations "bien vieillir ensemble 29" et "vivre et vieillir en citoyen" ont organisé un débat sur la prise en charge de la perte d’autonomie. J’ai été invité à y participer pour discuter de cette question, et des réponses que l’on pouvait y apporter.

Avant toutes choses, je tenais à remercier très sincèrement la FNAPAEF et sa présidente, Mme Le Gall, ainsi que les associations Bien Vieillir Ensemble 29 et l’AVVEC 29, pour l’organisation de ce débat. Et, au delà de notre rencontre de ce soir, les remercier pour le travail que nous pouvons faire ensemble. Chacun ici en est convaincu, ces questions sur la prise en charge du handicap et de la vieillesse, sont complexes ; et la mobilisation de telles associations est indispensable pour que nous puissions avancer dans le bon sens. La municipalité et en particulier le maire, François Cuillandre, sont heureux d’avoir pu aider à l’organisation de ce débat. Cette collaboration a été riche et fructueuse, et je souhaite vivement qu’elle puisse se poursuivre le plus longtemps possible.

Le débat autour de la dépendance prend, comme l’a souligné Gilbert Montfort avant moi, toute son importance aujourd’hui.
Mais quelque chose me frappe dans la façon dont les médias, notamment, abordent cette question. Trop souvent, la dépendance est abordée d’une façon extrêmement misérabiliste - nous avons tous en tête ces reportages qui se serve de la détresse extrême et de la solitude de certaines personnes âgées pour faire du sensationnel, et donc de l’audience. A l’inverse, ce débat est aussi trop souvent abordé sous un angle très technique, de telle sorte que seuls les experts s’y retrouvent.
Typiquement, ce débat est trop souvent associé par l’opinion à celui de la fin de vie, et par certains politiques à un soit disant insoluble problème de financement.

Dès le départ, le problème est mal posé, et le débat est biaisé.
Et si nous posions le problème autrement ? Est-ce que la question de fond qui se pose à nous n’est pas tout simplement : de quelle société voulons-nous ?

A cette question, il n’y a, à mon avis - mais nous sommes là pour en débattre - qu’une seule réponse possible.

Il n’est ni acceptable, ni même concevable de reléguer les personnes dépendantes à la marge de la société. Les personnes à mobilités réduites, par exemple, se sont beaucoup battues depuis des années pour pouvoir, à bien des égards, vivre comme tout le monde. Pouvoir prendre, par exemple, les transports en commun seul pour se déplacer.

Il est très important que les personnes dépendantes puissent continuer à vivre dignement, et à avoir une vie sociale avec l’ensemble de la société, voir des proches et recevoir du monde, travailler pour ceux qui le peuvent, faire des démarches ou se déplacer, etc.

Notre choix doit donc être celui du vivre ensemble. Il nous faut impérativement préserver et renforcer le pacte social, fondement de la République.
Il est donc impensable d’opposer valides et personnes dépendantes, jeunes et personnes âgées, etc. Il ne doit pas y avoir de choc des générations ! La problématique de l’autonomie n’est pas une question d’âge. Elle nous concerne tous ! Et elle nous concerne doublement : d’abord parce que nous sommes tous susceptible d’être confronté à cette question un jour. Mais cela nous concerne aussi et surtout en tant que citoyens, en tant que membre de notre société dans laquelle chacun doit trouver sa place.

Autrement dit, les valeurs qui doivent nous guider dans nos choix sont très claires :
- A l’échelle collective, c’est donc le vivre ensemble, qui est primordial.
- A l’échelle individuelle, il nous faut garantir l’autonomie de chacun, quelque soit son âge, et son handicap ; La dépendance n’est pas une fatalité, et nous devons au maximum chercher à l’alléger.
- Nous devons également garantir la dignité à chacun jusqu’à son dernier jour. Aujourd’hui, cette dignité n’est pas suffisamment assurée, que ce soit par le manque de moyens dont souffrent certains établissements, ou par la faiblesse des allocations, qui laissent bon nombre de citoyens survivre en dessous du seuil de pauvreté.

Vivre ensemble, autonomie et dignité, donc.
Tout cela passe par le respect de la clef de voûte de la République. Cette clef de voûte, c’est la solidarité entre les individus, quel que soit leur niveau de richesse ou leur âge.

C’est cette conception là qui fait la force et la pertinence de la protection sociale française. Et ce sont ces valeurs qui ont amené à garantir les quatre autres risques par la sécurité sociale. C’est donc indiscutablement cette conception là qui doit continuer à nous guider aujourd’hui.

Cela peut paraître tomber sous le sens. Mais il me semble très important de rappeler cela à l’heure où l’on cherche à nous imposer des assurances individuelles comme principal mode de garantie des risques ; à l’heure où l’on nous propose un régime à deux vitesses, qui ne reposerait plus vraiment sur la solidarité nationale.

Car le constat est toujours le même : dans un régime faisant appel aux assurances privées, les plus aisés ont les moyens de se protéger en faisant appel à des compagnies d’assurances. Et les autres doivent se contenter d’un système souvent minimaliste, qui, dans la plupart des cas, ne répond pas suffisament aux besoins et laisse les gens au bord du chemin, faute de moyens. Il suffit de voir le système de santé américain pour comprendre que cette solution là n’est pas satisfaisante.

 

« Gouverner, c’est choisir », disait Pierre Mendès-France. Pour la question de la perte d’autonomie, le choix doit être clair : c’est celui de la solidarité nationale. Faire confiance à un système d’assurance et d’individualisation des risques serait une erreur.

Le 5ème risque doit être pris en charge par une 5ème branche de sécurité sociale.

Cette couverture doit assurer :
- une prise en charge universelle, pour tous les citoyens concernés, quel que soit leur âge ou leur handicap ;
- une prise en compte des projets de vie, avec comme priorité l’autonomie des personnes ;
- des prestations, financières et en nature, qui soient fonction des besoins du bénéficiaire ; ces prestations doivent englober et remplacer tous les dispositifs existant, pour une réponse globale ;
- les besoins en équipements et en infrastructures doivent également être couverts ; la pénurie de place en établissements spécialisés, par exemple, est insupportable et doit être réglée.

 

Bien souvent, la question des ressources est opposée. Je ne m’y attarderai pas, nous pourrons y revenir plus tard dans la discussion si vous le souhaitez. Mais permettez-moi malgré tout d’en tracer quelques traits.

Comme pour tout système de protection social, nous avons le choix entre deux modèles : le modèle allemand, mis en place en son temps par Bismarck, et le modèle anglais, proposé par Beveridge. D’un côté, ce sont les travailleurs qui cotisent et qui bénéficient des prestations. De l’autre, ce sont tous les citoyens. D’un côté, le financement est assuré par des cotisations sociales ; de l’autre, par l’impôt. D’un côté, le système est géré par les syndicats et le patronat ; de l’autre, il est géré par l’Etat ou par un organisme public.

Pour la question de la prise en charge du handicap, c’est bien l’ensemble des citoyens qui doivent être couverts, et pas simplement les travailleurs, puisque nous pouvons tous être concernés, à un moment ou à un autre. C’est donc bien un système basé sur l’impôt, et sur une branche de sécurité sociale gérée par l’Etat, qui est préférable.

Toujours sur cette question du financement, il faut, bien évidement, que les efforts soient partagés par tous en fonction de la capacité de chacun à y contribuer. Clairement, la mise en place d’un tel système serait un échec si cela ne donnait pas lieu à une véritable redistribution par l’impôt. Il faut donc que les revenus les plus élevés contribuent largement au financement, ainsi que, par exemple, les revenus du patrimoine. Cela implique de revoir un certain nombre de dispositions actuellement en vigueur concernant la fiscalité, afin que celle-ci soit plus juste, et repose moins sur les classes moyennes.

Cela simplement pour dire que les capacités de financement d’un tel risque existent bel et bien. C’est bien de redistribution de revenus qu’il s’agit, pour garantir un système solidaire et une société plus juste.
Il faut simplement que ce choix de société, basé sur le vivre ensemble, l’autonomie, la dignité des personnes, et la solidarité, soit clairement affirmé.

Vous me direz surement : c’est très ambitieux. C’est certain ! Un véritable travail devra être mené pour que chacun adhère à ce projet ; pour que tout le monde accepte cette réforme qui consiste à ce que chacun contribue en fonction de ses moyens, et perçoive en fonction de ses besoins. Cela paraît tomber sous le sens, mais cela ne semble malheureusement plus évident aujourd’hui. Il faudra donc convaincre.

A travers cette question de la prise en charge de la perte d’autonomie posera de véritables questions. Par exemple, quelle est la place des professionnels, et quel sens redonner à leur action ? Comment éviter la dépendance, ou la grande dépendance, avant qu’elle n’intervienne ? Et comment améliorer l’accompagnement, les soins ? Comment permettre à la personne d’être plus autonome, et respecter au mieux sa liberté de choisir son projet de vie ?

Ces questions, nous devront nous les poser et les résoudre. Nous devrons le faire car les besoins sont impératifs, et les conséquences d’une telle réforme seront énormes.
Ces conséquences, ce sera d’abord le retour de la solidarité nationale, et d’une véritable solidarité intergénérationnelle, avec tout ce que cela implique.

C’est aussi la construction d’un véritable secteur de la dépendance, regroupant handicap et gériatrie. Cela doit permettre le développement d’activités centrées sur la personne. Autrement dit, des activités économiques basées sur l’économie sociale et solidaire, n’ayant pas pour but le profit. Ce secteur serait largement source d’emplois pérennes et non délocalisables. C’est un pan entier de l’économie qui, avec le secteur de la santé, peut fonctionner en ayant l’humain au cœur. N’est-ce pas salutaire d’avoir une économie qui se structure autour d’un secteur de services à vocation sociale, un secteur régulé, générant de fort besoins de travail, et ancré dans l’économie réelle ?

 

Autant de questions que soulève ce vaste débat sur notre choix de société pour demain. Ce qui est certain, c’est que nous devons réaffirmer notre attachement à la solidarité nationale, et à l’autonomie des individus, à la dignité de la vie jusqu’au dernier jour, et au vivre ensemble. Ce sont les clefs du débat qui nous réunit. Ce sont ces valeurs qui nous mèneront vers la seule voie véritablement humaine et républicaine pour prendre en charge le 5ème risque.

 


Photo : Ed Yourdon (Crative Commons)