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Le car de l’eau

Par Thierry Fayret.



Dans le cadre de la concertation sur la fin du contrat sur l’eau et l’assainissement, Brest métropole océane a organisé la semaine dernière deux nouvelles visites. Contrairement aux précédentes, ces deux visites n’étaient pas sur notre territoire, mais à Cherbourg et à Nantes. Ainsi est née l’aventure du car de l’eau ...

Mardi dernier, 7h place de Strasbourg, nous étions 18 à prendre place dans le car, faisant vaillamment face aux 1 000 km qui nous séparaient de notre retour le lendemain soir à 20h, sur cette même place. L’aventure était ouverte aux élus de Brest métropole océane (tous groupes politiques confondus), aux associations de défense des consommateurs et de l’environnement, aux syndicats, aux membres des conseils de quartier et à un gentil organisateur, en la personne du responsable de la direction de l’écologie urbaine et du service de l’eau et de l’assainissement de Brest métropole océane. Des quotas avaient été initialement fixés pour éviter d’exploser les budgets et de solliciter la galerie du car, mais il n’y eu que 18 courageux volontaires pour le départ.

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Premier arrêt à la communauté urbaine de Cherbourg, pour une réunion avec le Directeur général des services qui est aussi le Directeur de la régie de l’eau. La communauté urbaine de Cherbourg est globalement deux fois moins grande que celle de Brest, il s’agit donc d’un cas d’école de retour en régie, sur un périmètre d’action deux fois moins important que celui que nous aurions à gérer.

L’engouement de Cherbourg pour le retour en régie n’est pas feint. Partant d’une gestion déléguée, qu’ils ne considéraient pas comme tendue (la séparation de Véolia semble s’être passée entre gentlemen), ils semblent avoir trouvé une véritable plus-value dans la gestion globale en régie. De cette façon, ils peuvent piloter beaucoup plus finement les services de l’eau et les coûts. D’après eux, la régie directe est en effet un excellent moyen pour rendre le service public de l’eau.

Il est intéressant aussi de poser le cas de Cherbourg dans son contexte, qui nous a aussi largement été présenté. Au moment de son retour en régie, la Communauté urbaine de Cherbourg disposait déjà de nombreuses régies, au-delà de la gestion de l’eau, puisqu’une majorité des services publics y étaient déjà gérés de cette façon. Le retour en régie correspondait donc à la réintégration de 16 salariés du délégataire, dans le service public.

Comparé à Brest métropole océane où un retour en régie signifie la réintégration de plus de 150 salariés et où il n’est pas possible aujourd’hui de s’appuyer sur d’autres régies pour mutualiser les compétences et les savoirs, il s’agit d’un contexte un peu différent.

L’échange fut néanmoins très riche, démontrant à la fois qu’un retour en régie n’est pas impossible (d’autres villes l’ont d’ailleurs fait, de façons un peu différentes, mais à des échelles plus grandes aussi) et que ce mode de gestion permet un bon rendu du service public de l’eau, au travers d’une plus grande maîtrise du pilotage de l’ensemble.

Clairement, c’est le retour à un réel pilotage de la gestion de l’eau qui aura été le plus souvent mis en avant dans l’intérêt de l’opération du retour en régie, par la communauté urbaine de Cherbourg.

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En fin d’après-midi, nous avons rejoint notre « monture », pour un bivouac à Rennes, avant de repartir pour Nantes dès le lendemain matin.

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Changement de ville, changement d’échelle, changement de modes de gestion. A Nantes, les ratios s’inversent, la Communauté urbaine de Nantes est globalement deux fois plus grande que celle de Brest. Là-bas, point de mode de gestion privilégié, Nantes compose avec une mixité de modes de gestions : gestion directe et gestion déléguée s’y côtoient, s’y complètent et parfois même s’y concurrencent sainement.

La philosophie Nantaise repose sur une architecture plus complexe que les modes de gestions classiques, mais est néanmoins fort instructive.

Conscient, comme à Cherbourg, que le cœur stratégique dans les modes de gestion était la fonction de pilotage, ils ont tout structuré autour ce qu’ils appellent : l’Autorité organisatrice. Cette AO est composée d’élus, de directeurs des services et d’un service restreint (30 personnes), mais à haut niveau de savoirs et de compétences en matière d’eau et d’assainissement.

L’objectif de l’OA est à la fois de produire les orientations stratégiques, d’arriver à les décliner correctement dans des cahiers des charges et de posséder l’expertise technique pour contrôler la réalité du rendu par les opérateurs. Avec cette Autorité organisatrice, il devient alors possible de piloter n’importe quel mode de gestion, voire même de proposer d’avoir une mixité des modes de gestion (ce qu’ils font aujourd’hui, avec brio d’ailleurs, au regard des chiffres qu’ils nous ont montrés).

Là aussi l’analyse du contexte est instructive. Si Nantes fait apparaître un dispositif complexe mais intelligent dans l’administration des modes de gestion de l’eau, c’est parce qu’historiquement, lorsque la Communauté urbaine de Nantes s’est formée, ils ont du récupérer en gestion une grande diversité de situations. Il ne s’agit donc pas d’un choix politique initial, mais plutôt d’une réponse intelligente à une situation historique. Qu’auraient-ils fait s’ils avaient pu trancher pour l’un ou l’autre des modes de gestion ? La question semble rester encore ouverte.

Le second point instructif est que l’Autorité organisatrice, malgré son indépendance affichée, se nourri de l’expertise de terrain de sa régie, pour acquérir sa propre expertise. Ce n’est pas anormal puisque l’on imagine mal un délégataire issu d’une multinationale donner des cours du soir pour former ceux qui vont lui écrire ses cahiers des charges et le contrôler ... quoi que, mais serait-ce dans l’intérêt du service public ? Ce qui semble par contre à noter, c’est que l’Autorité organisatrice n’est pertinente que si elle dispose d’assez d’informations fiables pour instruire sa propre expertise et donc dans les faits, d’un service qu’elle seule va contrôler en confiance (donc un des modes de gestion directe). L’adage « on ne sait bien qu’en faisant » semble donc ici nécessaire.

Dernier point qui donne tout son sens au concept de mixité des modes de gestion nantais. Chaque mode de gestion possède des qualités et des défauts, des risques et des opportunités (c’est d’ailleurs pour cela qu’il y a autant de débats sans fin sur le sujet !) Quoi que l’on dise, quoi que l’on fasse, les systèmes humains sont ainsi faits : sur une gestion de 10, 20 ou 30 ans, les risques de dérapage lent de la qualité ou de la performance du service ne sont pas à négliger, malgré toute la bonne volonté des différents acteurs (politiques ou salariés). La mixité des modes de gestion permet de répondre en partie à ce risque. Elle donne l’opportunité à chacun de s’auto évaluer avec les autres. Il revient à l’Autorité organisatrice le soin d’animer cette forme de concurrence saine qui permet à chacun de progresser et surtout de ne pas tomber dans la facilité. C’est un point fort qui donne un vrai intérêt pour ce concept, au moins sur le papier puisque les nantais sont les premiers à dire que ce n’est pas parfait pour autant !

Le cas de la Communauté urbaine de Nantes fut donc aussi très riche d’enseignements, même si ceux-ci ne sont bien-sur pas copier-collable en l’état à Brest métropole océane.

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Malgré l’accueil très chaleureux de nos compatriotes nantais, nous dûmes remonter dans le car afin conclure notre longue boucle, place de Strasbourg ... à Brest !

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Mille kilomètres, treize heures de car et neuf heures de réunions plus tard, deux points ressortent fortement de ces deux jours de travail. D’abord, chacune des deux situations partent d’un contexte local. Dans un cas comme dans l’autre, le choix du mode de gestion n’est pas indépendant de la situation de départ et c’est cela qui en fait sa force par la suite. Le second point est évidemment la nécessité de maîtriser le pilotage du service public de l’eau, quel que soit le mode de gestion choisi. Là aussi, dans les deux cas, cet aspect a fortement structuré leur choix, sur la base de ce qui existait déjà sur leur territoire.

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L’aventure du car de l’eau est terminée. Dans quelques semaines devrait commencer une plus courte avec un allé-retour sur Paris, pour voir aussi leurs modes de gestion.

 

 

Retrouvez cet article sur le blog de Thierry Fayret.