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Nicolas Sarkozy, ou l’art de la coupure plus que de la rupture

Tribune paru sur le site Internet du Monde le 2 Mars 2003.

Deux ans après son entrée en fonction, le Président se retrouve coupé des français, de ses électeurs, de son administration et aujourd’hui de son premier cercle. Celui qui voulait faire croire à ses talents de manager n’a réussi qu’à se couper d’une France qu’il souhaitait initialement faire avancer.

Depuis le début de son mandat, Nicolas Sarkozy tente de se construire une image de manager. En appliquant de façon parfois caricaturale des recettes de management d’entreprises, l’hyper président a cru pouvoir se forger une image de Patron. Deux ans plus tard, l’échec est flagrant tant la coupure est profonde entre lui... et ses « managés » !

C’est très en amont que la première coupure avec une partie des français s’est produite. Son parcours politique pour accéder à la présidence fut une succession de coup d’éclats, de phrases chocs et de théâtralisations émotionnelles de la scène politique. Ces épisodes, dont il sut habilement toujours tirer profit vis-à-vis d’une partie de l’électorat, construisirent dès le départ un profond clivage chez les français. Ainsi, le vote de rejet de Nicolas Sarkozy pendant l’élection présidentielle fut important, au regard d’un individu se présentant pour la première fois à cette fonction et n’ayant jamais été premier ministre. Malgré sa majorité de voix, il héritait d’une France qui, pour moitié, rejetait ce qu’il représentait.

Ensuite, cette coupure se poursuivit avec ses électeurs. Dès les premières heures de son mandat, le candidat attentif aux français s’est rapidement transformé en un enfant gâté, aimant le luxe et l’apparence. Les premières mesures politiques du mandat furent elles-mêmes des avantages vers les plus riches, les moins démunis. Aujourd’hui, cette coupure est avérée, le président n’échange plus avec les français, il leur parle à la télévision ou sur une estrade, par discours interposés. Les quelques « bains de foule » sont aujourd’hui majoritairement constitués de CRS, de journalistes et de militants de l’UMP tant le risque de dérapage, de part et d’autre, est craint pour l’image du président. A son niveau, l’opinion ou le ressenti des français n’apparaissent plus que dans des tableaux de chiffres, issus de questionnaires téléphoniques, réalisés par des instituts de sondages dans une France découpée par échantillons représentatifs.

La troisième coupure relève encore plus du management. La brutalité et le coté arbitraire de ses décisions vis-à-vis des hauts fonctionnaires et plus largement de la fonction publique toute entière ont fini par le couper de son propre « outil de travail ». Le limogeage brutal de plusieurs hauts fonctionnaires, à chaud et pour des motifs souvent secondaires a conduit ce corps vers une posture de défiance et de retrait à son égard. Anxieusement, tout est fait pour éviter les problèmes, soit par une exagération coûteuse des moyens, soit par des non prises de décisions. De même, la fonction publique ne comprend plus ce que l’on attend d’elle avec cette succession permanente de réformes vides de sens. Elle ne perçoit que du mépris dans les injonctions contradictoires faites par le gouvernement pour masquer ce qui ressemble au plus grand plan social de l’histoire française.

Enfin, la dernière coupure relève aussi d’un piètre management et d’une incapacité à comprendre un travail en équipe dans le respect et la confiance. C’est au sein même de l’UMP, des cabinets ministériels ou de la bouche de ministres que fuse aujourd’hui timidement une incompréhension grandissante sur la méthode Sarkozy. Attitude logique pour des personnes promises à une « évaluation sur objectifs » publique, mais ne possédant pas de marge de manœuvre face à un président omnipotent, premier responsable de la politique en place et de ses résultats.

L’art du management n’est pas de vouloir façonner la France par la seule force de ses intimes convictions. Il est au contraire d’accepter la prise en compte de toutes les parties prenantes, avec leurs forces ou leurs faiblesses, leurs histoires ou leurs attentes et enfin, leur proposer un projet commun, non un projet à chacun.

On dit d’un président qu’il habite sa fonction quand il incarne la vision que les français attendent pour leur pays. Pour réussir à gouverner, un président doit habiter la France et les français dans une relation mêlant empathie et bienveillance. Il est à craindre que Nicolas Sarkozy n’habite que lui-même. La coupure profonde qui s’installe à différentes échelles témoigne dans la douleur de l’incapacité d’un président à gouverner pour les français.